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L’agent voyer avait toujours eu le respect des frontières, des bornes que l’on posa entre les heures du jour comme entre les départements de la France, et il aimait à ne se coucher qu’à minuit juste, de même qu’il s’amusait encore, à la limite du Bourbonnais et du Berry, à poser le pied droit dans le Cher, le pied gauche dans l’Allier, ou bien, le corps dans une province, à ne laisser dans l’autre que son ombre.

Or, son ombre était en deçà de midi et goûtait au potage, quand un événement, brusque comme un coup de cravache, l’enleva au-dessus de l’obstacle. Sa voisine avait le hoquet. Ce fut d’abord un hoquet discret, qui se contentait de soulever à coups réguliers sa poitrine, comme si son cœur lui aussi eût sonné midi, mais il éclata bientôt comme un sanglot, et il semblait que la vue du potage éveillât en elle des souvenirs désespérés. On ne mangeait plus qu’avec précaution, et chaque convive indiquait le moyen radical de guérison. Il fallait, d’après M. Pivoteau, se pincer le petit doigt et, d’après M. Rebecque, rester sans respirer jusqu’à ce que tout hoquet eût disparu ; Mme Danton fit apporter une énorme clef, qu’elle allait appliquer sur les épaules de la