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L’agent voyer se surprit à lui sourire.

— Au fond, se dit-il, ragaillardi, je suis le contraire d’un timide : je parie que je salue le poète !

C’était de l’audace. Le poète de Beaume est un solitaire, qui n’a ni maison, ni famille, comme ces oiseaux qui nichent dans le nid des autres de peur d’oublier leurs chansons à amasser des brindilles. Il habite, à l’hôtel, une chambrette blanchie à la chaux, et passe ses jours à se promener dans le petit sentier qui unit par une veine d’ombre bleuâtre l’artère départementale à l’artère nationale, ou, assis au bord du fossé, à lire des livres si pervers, qu’on imprima un caducée sur la couverture jaune, comme sur les étiquettes à poisons. Mme Pivoteau rapporta un jour de Paris un recueil signé de son nom, deux cent trente et un poèmes dédiés à une Jeanne, mais si chastes qu’on se demande si c’est sa mère, sa fiancée, ou Jeanne d’Arc. L’agent voyer le salua, sans le regarder ; l’autre le regarda, sans répondre.

— Et je saluerai aussi Mme Leglard, se disait l’agent voyer ; elle en vaut bien d’autres.

Mme Leglard, que l’on soupçonnait d’avoir été cantinière, le suivit de ses yeux ahuris, à travers sa fenêtre. Mais, sans remarquer son étonne-