Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son remontoir : les deux mouvements luttaient de front une minute, mais mon sang prenait vite le galop et la montre, dépassée et lasse, continuait les heures au pas. Je ne savais si j’étais fier ou honteux que ma maladie n’eût pas de nom.

Seule, Urbaine, la garde, n’était pas embarrassée, habituée à deviner d’elle-même les causes des orages, des passages de soldats, des maladies d’animaux, et à se suffire de ses réponses.

— Pourquoi il est malade ? expliquait-elle, parce qu’il ne cligne jamais des yeux. Il vous regarde des heures entières, les yeux toujours ouverts, comme un aveugle. Un enfant de son âge n’est pas une poule. Il doit cligner à toute minute.

Mon père souriait.

— Et ce n’est pas fini, ajoutait-elle en colère. S’il continue, il lui viendra des goitres.

La peur des goitres me faisait obéissant et silencieux. J’en avais vu beaucoup, au marché, à la gorge des montagnardes qui vendent les châtaignes, et notre beurrière aussi en portait un, gonflé au-dessus des deux autres comme un troisième sein. Souvent, pendant que je somnolais, les crétines et la beurrière, en file ou en ronde, dansaient autour de mon lit, les goitres tombant. Je