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sous le rideau qu’elle ne soulève pas. Je refrappe, pour lui faire croire que je n’ai pas vu son signal. Alors la main reparaît, et je ne sais où elle a plongé : elle est toute chargée de bagues.

— Voilà la terre, criai-je.

Saint-Miguel est à portée de la voix d’un enfant. Sur le quai, près de mortiers et de couleuvrines rouillées, les ananas sont rangés comme des obus. Les vendeuses ont des capuches noires si rigides qu’elles doivent se placer face à face pour causer. Des béliers traînent des voitures de magnolias et de camélias cueillis aux jardins d’Antonio Borges, et ils courent après le parfum comme les ânes après la baguette de coudrier qu’agite, devant leurs naseaux, le cavalier. Des paquets d’Océan se déballent en dentelle sur l’escalier de la douane et sur les piles d’un triple portique, crème et patiné, comme Vénus, et comme tout ce qui se fait avec l’écume de mer.

Mais voici mon amie qui vient vers moi, offrant sa main et son sourire. Je n’embrasse que la première.

— Vous êtes gentil, me dit-elle : voilà la terre ! Des bateaux à voile éventent le steamer.

— Cher ami, ajoute-t-elle, ai-je l’air heureux ?