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les poules dormir, d’un œil et d’une patte. Puis, la terre se dilatait, et devenait la nuit.

Il faudrait toute une saison pour voir venir le printemps, pour voir passer les jardinières, avec de grosses betteraves grenat, où s’est réfugié tout le sang de la terre ; les mères, avec de petits enfants, nés au printemps dernier, qu’elles flattent de la main, et appellent leur petit camarade ; les laveuses, auxquelles il suffirait de frotter les mains, pour faire de la mousse. Voilà une petite fille, qui a peur de tout, ses yeux étant trop grands ; voilà un petit chien bousculé, qui hurle et hurle…, étrangement fort, comme s’il était l’âme d’un Terre-Neuve gigantesque écrasé plus loin. On voit le ciel à travers la lune ; on voit le ciel, derrière la nuit.

Voilà mon printemps, voilà ma vie. Eux, les hommes, la vie les chasse, comme une voiture chasse un poulet. Elle est derrière ; il croit aussitôt qu’elle le poursuit, et l’idée ne lui vient pas de se ranger et de la laisser passer au galop et avec ses jurons ; il court, oubliant qu’il a des ailes, et ce n’est qu’une carriole qui bourlingue, pleine de fromages et dans laquelle des filles rient. Les amoureux seuls et les malades