Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du buraliste dont les oreilles étaient toutes plates, — parlant très fort, car on les regardait, dressant très haut la tête où les oreilles s’attachaient, rouges à peine. En flanc-garde, l’institutrice, aux oreilles trouées, sans boucles ; à côté d’elle la mère Lignelet, la buvetière, dont les oreilles se refermaient chaque année, et enfin, tout au bout, se débattant, la pauvre Pierrette, qui n’avait ni boucles d’aïeules, ni aïeules, ni parents, et qui se sentait trop pauvre même pour être vaccinée.

Les deux enfants voulaient les suivre, mais elles se retournaient en grimaçant et en chantant Jean de Nivelle. Le petit duc s’étonnait qu’elles fussent si laides et que pas une ne leur ait souri. Jean craignait pour son prestige et il sentait grandir en lui le remords de n’avoir pas révélé son isolement. Mais quand elles eurent disparu par la porte de la mairie, son ami n’y pensait déjà plus ; il saluait de son fouet des métayers, des locataires. Le boucher lui tendit la main. Un gros chien s’approcha et remua la queue, sans qu’ils l’aient appelé et sans qu’il les connût. On demanda son âge au propriétaire : il avait dix ans. — Comme moi, dit le petit duc. — Comme nous, dit Jean. Le petit duc ajouta : — Moi, je suis né la nuit.