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et étrangler leurs cinquante maris. Mais aucune n’avait l’air de se repentir, en dehors des heures fixées par l’abbesse, et Sœur Sulpicia n’hésite guère à me tirer la langue. Pourtant, rien n’avait été épargné, à travers le couvent, pour leur rappeler leur honte et le péché des femmes. On n’avait planté dans le jardin que des pommiers, dont elles cueillaient les pommes, par pénitence, que des lys cernés et poudrés et des bosquets de lauriers roses. Dans l’enclos s’ébattaient tous les animaux qui servirent leurs fantaisies : un cygne, inquiet comme une boussole, et qui, parfois, la conscience lui revenant, tendait des minutes entières son cou vers le Nord ; un taureau, à la recherche d’une étoffe rouge, attendait qu’un orage chavirât les toits. Au ciel même, un aigle planait, et des rayons tombaient en lingots d’or autour d’elles.

Estelle passa ensuite, au bras de la supérieure, et sa cornette était de travers, comme le furent tous ses chapeaux. On se bousculait ; les pèlerins étrangers avaient obtenu la permission de visiter le couvent, avant la consécration, et ils se hâtèrent à la suite des élues. Je reconnus d’abord les Suissesses : elles allaient, majestueusement, et