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JEAN GIRAUDOUX

LE SECOND JUGE

Évidemment. Cela peut nous paraître déconcertant qu’ils éprouvent leur plus grande joie à nous voir prendre nos bains de pieds, embrasser nos femmes ou nos bonnes, fesser nos enfants. Mais le fait est indéniable : autour de chaque geste humain, le plus bas, le plus noble, affublés à la hâte de carcasses ou de peaux en velours, le nez en grouin ou le derrière en dard de guêpe, comme si manger ou rendre un miracle, ils s’amassent et forment leur ronde…

HANS

N’y a-t-il donc pas eu une époque, un siècle qu’ils n’aient empesté ?

LE PREMIER JUGE

Une époque ? Un siècle ? À ma connaissance, chevalier, il y a eu tout au plus, un jour, un seul jour. Un seul jour, j’ai senti le monde délivré de ces présences et de ces doubles infernaux. En août dernier, sur les côterelles, derrière Augsburg. C’était la moisson, et aucune ivraie ne doublait chaque épi, aucune nielle chaque bleuet. Je m’étais étendu sous un cormier, une pie au-dessus de moi, que ne doublait point un corbeau. Notre Souabe s’étendait jusqu’aux Alpes, verte et bleue, sans que je visse au-dessus d’elle la Souabe des airs peuplés d’anges à bec, ni au-dessous la Souabe d’enfer avec ses démones rouges. Sur la route, un lansquenet