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chaque veinule, que ces dents, que ces morceaux insensibles d’ivoire dont chacun était lié à lui par des souvenirs et des souffrances. Il n’allait pas partir avec ce compagnon veule et traître qu’emportent les solitaires malades. Sa vie nouvelle éclatait déjà sur lui dans le miroir. Quel dommage que le miroir lui-même eût une histoire… Juste celle de son mariage… Il s’y était vu fiancé ; il s’y était regardé, il s’était rasé devant lui, le lendemain de ses noces. Le premier poil, la première moisissure de sa vie de mari, il l’avait coupé devant cette glace… Voilà, il coupait la dernière.

Il passa dans son bureau, ouvrit là aussi les volets, répandit là aussi la suprême journée à pleins flots sur les papiers, la table. Il jouissait d’accomplir pour la dernière fois ces actes quotidiens. Pour la dernière fois à ses oreilles, le crochet