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C’est ainsi qu’à chaque visite elle s’entraînait à me trouver plus inhumain.

— Vous n’aimiez pas à tuer les petits oiseaux, dans votre enfance, ou les chats ? Vous ne découpiez pas les personnages de vos albums pour les mutiler ou les brûler ?… Oh ! Jacques, ne me regardez point ainsi. À qui ressemblez-vous qui avait un nez pareil !

— À César Borgia. À Galéas Sforza.

Au fond, j’étais vexé, car je me croyais tendre. Jamais je ne refusais un sou à un mendiant. Jamais je ne me dérobais aux prospectus que distribuent, dans les rues, de pauvres gens habitués aux rebuffades. Un chien perdu s’était réfugié sur mon paillasson, je lui fis donner, avant son départ pour la fourrière, et pour qu’une fois dans sa vie il ait approché le bonheur, une terrine de lait et un bifteck. Mais surtout j’éprouvais une émotion infinie à frôler la vie des humbles, des demi-pauvres : la petite lumière qui brille au fond de l’échoppe, plus mystérieuse et plus inabordable que celle du phare le plus dangereux ; le geste des petites bourgeoises