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COMBAT AVEC L'ANGE

trouve pas d’équivalence entre les deux actes, — Annie avait pleuré, la biche s’était léchée. J’avais posé ma main, comme par hasard, à sa portée. Mais en vain; la langue ne s’y était pas égarée. La nuit s’était écoulée ainsi, dans cette confrontation inutile, d’où montait la même désolation, le même refus d’entente, de mariage, de fiançailles, de léchement de mains entre les hommes et les femelles, et, au jour, la biche s'était levée, s’était enfuie. Le jour révélait plus encore que la nuit que je n’étais pas cerf, que mon dévouement était conscient, ma pitié égoïste. J’avais voulu barrer la porte, car elle allait vers la mort, mais elle m’avait heurté de face. J’avais lutté avec la biche, presque à bras le corps, poitrail bleu à boutons d’or contre poitrail blanc si lisse, moi avec mon calot, elle coiffée d’oreilles palpitantes. Si deux grands bois s’étaient élevés de mon front, couverts d’années, si le jeu maladroit de mes brodequins était devenu un piétinement ailé, si dans mes yeux soudain élargis elle avait reconnu un vrai amour, une vraie force, peut-être eût-elle cédé, et évité ainsi le coup de revolver du colonel, qui, survenant brusquement et la voyant fuir, l'avait ainsi heureusement ramenée dans son destin de biche française. Ce matin aussi, Annie n’avait attendu que l'aurore pour partir. Sa décision était irrévocable. Elle s’était dressée d’un