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COMBAT AVEC L'ANGE

d’une étoffe épaisse et douce au front. Je couchais détendu, soucieux d’éviter tout geste brusque qui eût porté chez elle la panique, comme la fois où j’avais justement, en 1914, dans une écurie du château de Marchais, couché avec une vraie biche. On l'avait prise au filet pour qu’elle ne devînt pas un gibier pour les Allemands et, avait dit le colonel, afin qu’elle partageât notre sort de français. Elle aussi se pressait contre le mur. Elle m’avait écouté enlever mon sac, poser mon fusil dans un râtelier, un vrai râtelier, déboucler mon ceinturon, avec la panique d’Annie entendant mes vêtements tomber. J’étais allé pousser le loquet de a porte ; nous étions bien seuls; puis, étendu sur sa litière, je percevais tous les bruits de son corps, tous les sursauts de son âme de biche. J’entendais, comme dans Annie la nuit dernière, le bruit des paupières qui s’ouvraient, plus mouillé chez la biche, de la peau qui se froissait, le moindre craquement de ses os. À chacun des mouvements de ma compagne animale me venait à l’esprit le mot noble de vénerie qui désignait la part du corps qui s’agitait, et les bonds d’Annie, ses repos, ses chaleurs, déclanchaient aussi en moi un vocabulaire tendre ou brutal. Parfois un bruit plus continu, plus doux : c’était Annie qui caressait l’étoffe du mur, c’était la biche qui léchait le salpêtre, c’était la seule consolation, le seul recours. Puis, — je ne