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COMBAT AVEC L'ANGE

conde en retard. J’étais dans un monde dont la lumière demandait une seconde pour arriver au sien. C’est un éloignement au-dessus des forces humaines. Mes pneumatiques étaient des réflexes instantanés à côté de mes regards et de mes réponses; — et que dire de rues caresses !... Les lettres de l’année dernière aussi, quand elle les relisait. Elles étaient à jour, elles étaient du matin, elles étaient du lendemain, alors que ma présence était déjà un état insupportable entre le passé et la distance. La mémoire de ce qu’elle appelait notre amour s’était détachée en moi de cette affection même. Tous les souvenirs de notre liaison vivaient encore en moi, mais à titre particulier, en tant que souvenirs de voyage, de printemps, de solitude. J’étais vraiment léger, vraiment un fantôme. Elle sentait qu’elle ne me rappelait de ma vie individuelle à notre vie commune que par des expédients, comme on rappelle un esprit. Une impression cruelle de non appareillage entre nos âges, nos époques, donnait à notre union un côté inhumain. Elle couchait avec un génie. Moi avec une biche. Elle couchait rétractée, en continuelle alerte, non plus sur le ventre et dans cette position de biais qui me faisait comparer le lit, quand je la rejoignais, à un blason de bâtard, mais sur le flanc, collée au mur, arrêtée dans sa fuite par ce mur impitoyable, mais du moins revêtu