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je vais penser à la nuit pour que le coup soit plus sensible… Que tu parles brusquement, amie, quelle secousse ! quel mauvais boy d’ascenseur tu ferais !

Une nuit…

Seul être qu’on approche en le fuyant, qu’on voit en fermant les yeux ! Nuit de New-Jersey où les feuilles des palmiers claquent de chaque dent sous la fraîcheur, où l’étang est de plomb, et sur lui les cygnes glissent tout hors de l’eau, on voit leurs pattes ; où le mari rentré du club avant la fin de l’opéra, contemplant la photo de sa femme Ivy, découvre sur les lèvres la trace de deux lèvres et ne sait ce qu’il doit souhaiter, savoir son meilleur ami amoureux d’elle ou apprendre que c’est elle-même, égoïste, qui s’embrasse. Nuit d’été, que l’opérateur poursuit en plein midi et avec une plaque bleue, de sorte qu’on voit animé tout ce qui dort à pareille heure, les canards d’Inde sur les bassins, la tête d’un facteur, et des petites filles en pyjama qu’un bandit vole de leur berceau à minuit juste et qui clignent des yeux à cause du soleil.

Soudain…

Mot qu’ils emploient toujours à contre-sens, pour dire « alors » ! Soudain, lentement, la femme imprudente vient, honnête, chez l’Oriental ; il la marque au fer rouge de la première lettre du mot Japon (moi je peux l’épouser, j’ai la même initiale…) Soudain, peu à peu, le professeur français de troisième classique, égaré dans la ville des cow-boys, raconte les aventures qui lui arrivèrent en Europe : ce