des intervalles immenses, ceux que d’en bas le juge terrestre
ne voyait distants que de quelques pouces. On voyait sur
une écluse le canot rouge aller, moi seul savais par quelle
faiblesse de ses avirons, saccadé et sans but, et dans les
grands domaines, pour la fureur des propriétaires, les
fermiers user avec leur Ford les chemins neufs. On voyait,
au milieu d’un fourré, de granuleux pommiers sauvages en
fleurs et c’était la trace d’une des premières fermes d’émigrants,
et les quakers qui n’ont jamais souri laissent ces
squelettes parfumés… On croyait tout voir… Mais le
directeur soudain nous montra Harry, étendu au-dessus de
nous, qui avait trouvé, dédaignant celui d’Emerson, le vrai
trône de la vallée, qui, bientôt, orienté dans sa vraie ligne, ne
bougea plus, qu’il fallut rejoindre… Pauvre Emerson qui
ne vit jamais, au ras du ciel, autour d’un clocher pointu, ce bosquet vers lequel volait un oiseau puis allait un bicycliste, puis s’enfuyait un chien, puis courait un piéton, et qui ignora peut-être toujours qu’en Nouvelle-Angleterre, le soir, humains et animaux, s’unissent sous un bois d’érables et s’étendent, mais alternés, pour le sommeil.
Page:Giraudoux - Amica America, 1918.djvu/90
Cette page a été validée par deux contributeurs.
82