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contenue, un corps d’Angleterre lavé par les rivières anglaises, brûlé par le soleil anglais, un corps horizontal, tendu sur la ligne de tous les ancêtres anglais… — et qui est mort sur un bateau, et qui fut jeté dans la mer, avec le boulet qui maintient vertical son suaire. Et, plein de pitié, mais mis en méfiance de sa divination, feuilletant ses autres poèmes, on ne croit plus exactement ce qu’ils affirment, on ne croit plus que l’amour est une rue ouverte où se précipite ce qui jamais ne revient, un traître qui livre au destin la citadelle du cœur, un enfant étendu. On se butte un peu, on vous contredit, — pauvre cher Brooke — on s’entête à croire que l’amour est une rue, si vous le voulez, mais fermée, où un traître, mais alors un traître qu’on trahit, et parfois l’on voit ce doux enfant vertical, flottant tristement dans l’air.

Comment Seeger est mort ?

C’est l’été. Tout ce qui empêche de respirer l’été, son képi, son masque, il l’enlève. Il tient son cigare derrière lui, à cause de la fumée ; le voleur de la compagnie le lui vole, et Dieu merci, car ses mains après sa mort ne se brûleront pas sur lui. Puis il s’étire, mais sans lever les bras, à cause des balles, les bras en croix. Il a juste une minute à vivre. Votre montre est devant vous, avec son cadran à secondes. Une minute et il va mourir. Il a dans sa poche le flacon d’héliotrope, qu’il va écraser en tombant. Avant qu’il soit mort, vous n’avez même plus le temps, maintenant, de tracer cette courte phrase qui lui servait de devise, qu’il écrivait avant chaque poème — au sujet des peupliers. Si c’est un obus,