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Le pasteur Cox s’est levé. Il s’étonne de tant de silence. Il dit :

— Non, ne me forcez pas aujourd’hui à vous parler de la Mort. Rallumez tous ces yeux éteints. Rentrez vite, comme y rentrera après une minute à peine l’heureuse génération qui vivra et mourra le jour du jugement dernier, dans vos corps encore tout chauds. Toi, mon ami le soldat, ne te trompe pas, voilà que tu reprends à tort un corps plus paresseux, un visage plus tendre que les tiens. Jeunes filles, jeunes gens, je ne veux pas venir aujourd’hui du fond de votre vie, le dos à votre mort ; un instant je m’aligne dans votre file, je marche à vos pas, je vais au-devant d’elle, pour la première fois je l’aperçois comme vous l’apercevez, invisible, un gouffre, un cri sans aucun son, et je remets l’âme du chrétien qui mourut voilà une heure dans mes bras à une mort lointaine et solitaire. Aujourd’hui je parle au lieutenant français, qui a mon âge et qui fut quelques mois jadis, dans ma promotion même, élève de notre Université.