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sance à la bataille ou glissées au moins jusqu’à portée du front : Provins, traversé par un peu de Voulzie, Evreux, avec un peu de l’Eure, chaque cité portant à la Marne un segment de rivière comme un oiseau son fil. Parfois sur l’extrême-gauche, de petites circonférences trop pressées pour être des villes, les roues des taxis. Parfois, à gauche, un cercle avec deux bras et deux jambes : c’est qu’un de mes amis a tenu à indiquer ma place, ma place à moi. Parfois aussi une vraie carte de l’Ourcq, où les épingles dans la soirée ont creusé autant de trous qu’on en voit des avions. De vieux messieurs, qui n’ont visité que le Sud de la France, Nice, Pau, restent un peu en arrière des stratèges et suivent la lutte comme l’ont suivie les Niçois et les Palois eux-mêmes, sans parler, sans fumer…

Maintenant Golias décrit la Marne, comme elle naît dans les noisetiers, finit dans les tilleuls, comment, sans aucune pente, elle garde le courant des plus vives cascades, comment ses affluents ont lutté eux aussi contre la Meuse qui les voulait jeter au Rhin, et l’ont vaincue et isolée par le subterfuge des méandres coupés. Puis, triomphant enfin de sa modestie, il avoue que la rivière découverte par lui en Bolivie est juste, à un mille près, de la même longueur que la Marne, qu’elle aurait sur une carte le même aspect, — mais il avoue aussi qu’elle est desséchée, rugueuse, sans histoire, et la voilà rejetée par lui-même au soleil équatorial comme d’une couleuvre en renom la peau primitive.