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Il débute — comme tous les orateurs là-bas, car il est juste d’offrir au public un appât vivant — par une anecdote sur un homme. C’est jour de fête, il choisit un grand homme.

— Il y a quelques jours, dit-il, le général-maréchal Joffre vint déjeuner, en France, chez de nouveaux amis. On prit le café sur la terrasse. Une rivière coulait au bas du jardin. Le général-maréchal l’admira et demanda son nom.

— Monsieur le Général-Maréchal, répondit l’hôte, c’est la Marne.

Les auditeurs autour de moi s’épanouissent. Zimmermann a trouvé la quantité du mot Joffre et la note à la hâte… La Marne est pour tous ici la seule bataille de la guerre, et il n’est pas de jour où ils ne la discutent entre eux. Il faudra quand ils seront en France, même au prix d’un recul, faire combattre leurs premiers soldats sur ce fleuve. Chaque soir, oubliés sur les tables des clubs, tracés à l’intérieur de papiers à lettres qu’on n’a pas osé déchirer et qu’on remit avec dévotion dans le pupitre, nous trouvons des plans à l’encre fraîche, des lignes qui se croisent sans raison, — corrigés parfois au crayon bleu, indice que l’intendant du cercle lui-même a dû intervenir, — indéchiffrables, s’il n’y avait en bas et à gauche une marque isolée, un poinçon, qui rend cette feuille précieuse, qui est Paris, Paris tout rond pour qui l’ignore, ovale pour qui le connaît de vue : c’est leur solution de la Marne. Parfois le critique se trompe. Des villes étrangères à la victoire — celles où une promenade en auto l’a conduit de Paris — sont conviées par reconnais-