une trace. Les bateaux de New-York, combles, traçaient un long sillon. Au-dessus de la corde qui sépare les premières des secondes, une jeune Française et un Américain se disaient adieu, et rentraient l’un au cœur de la richesse, l’autre au cœur de la pauvreté. Ceux qui savaient que Joffre allait bientôt venir, parfois se retournaient. Puis un jour, où, hélas, je ne pus être rasé, — car le capitaine de la Sylvie, coulée en Grèce, qui allait chercher le Bacchus à Détroit, se faisait couper les cheveux, les favoris, la moustache, la mouche et la barbe, — comme une de ces dalles enchantées sur la terre, avec un gros anneau, par où l’on arrive aux antipodes, une énorme bouée rouge parut, fixée sur la mer plate, qu’on souleva, et ce fut l’Amérique. Le bateau poste déjà nous harcelait, et nous écrivions lentement, pour qu’il ne les emportât pas, les lettres qui devaient rester à bord et revenir en France. Sur le remorqueur, à la place où je l’avais laissé voilà dix ans, Jérôme Greene nous attendait, se levait quand un navire ne passait pas dans le voisinage, et je montrais son canot aux commissaires du port qui voulaient savoir où j’allais, en Amérique. Puis un nuage s’éleva, qui était Long-Island. L’Américain au doigt coupé me désignait du pouce l’échancrure du nuage où il se baignait, la voussure du nuage où un chanteur de Honolulu avait joué avec les pieds sur son piano… puis New-York apparut ; de gigantesques cubes d’ombre rangés parmi des cubes de lumière plus gigantesques encore bornèrent l’horizon, les bâtiments vieux de plus de dix ans à côté de
Page:Giraudoux - Amica America, 1918.djvu/18
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10