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noircir la première ombre des feuilles nées ce matin ; au flanc des collines, je vois des poiriers, des pêchers généreux contenir la sève des feuilles pour livrer plus tôt toutes leurs fleurs, c’est la guerre, sur des squelettes encore desséchés, et, dans le vallon, de hauts pruniers tout blancs, drus comme des choux-fleurs. Ici le printemps dure, Gladys, il n’est pas d’un jour ou deux comme chez nous, et j’ai trouvé enfin le contrepoids à notre automne. Tous les mots que vous usiez, d’une usure imperceptible, — mille fois vous les diriez sans qu’ils se percent ou se boursouflent — pour parler de la lumière, du couchant, de mon jeune paon, ou de vous-même, vous pourriez à juste titre les donner à ce printemps français. Dans un guéret fumant, le semeur, seul homme de France qui ait le blé à discrétion, le prodigue d’un geste économe et précis. Sur chaque cep, le vigneron se courbe comme sur son baril, quand il tire le vin. Un canard, que sur la rive droite effarouchent des soldats américains, sur la gauche des zouaves, nage au milieu exact du torrent, rampant sans modifier son axe sur les rocs qui affleurent, au lieu de les contourner, et son sillage atteint toujours les deux bords à la même seconde. Le train glisse sur le fond de l’horizon au moment où une nuée s’écarte du soleil, et c’est le bruit d’un grand store qu’on tire. Leslie était né pour le printemps. Tous ces mouvements qui l’agitaient et nous semblaient inutiles, lorsqu’en plein été s’écartant de la mer il remontait en maillot un ruisseau, lorsque dans l’automne résonnant comme une cathédrale il chantait des two steps, quand sous la neige il