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ricanait ; il me prenait je ne sais quel esprit, quelle forme et j’eus l’impression quand il disparût, qu’un maillot, une ombre de soie, entre mes vêtements et mon corps, avait été dérobée. Parfois, il tirait un carnet de sa poche, lisait, me contemplait et coupait à ma taille la métaphore qu’un enfant, un oiseau, lui avait inspirée le matin ; et, tout d’un coup, la raison de son poème découverte, il me combla de prévenances ; il me présenta une cigarette de sa main valide ; il prodigua son côté gauche, son côté intact, m’offrit des mots, des regards qui n’avaient jamais outragé personne : le mot « cher officier », le mot « cher Français ». Je prenais la cigarette de ma main droite, car mon bras gauche est blessé ; je répondais à ses regards de mon œil droit, car mon œil gauche est myope ; je jouais à mon insu, mais avec perfection, le rôle de l’Innoncence qu’il m’a donné dans ses vers ; et comme je me levai, il se leva et il me suivit à la fenêtre, et il me dit le nom anglais des fleurs ; et il insistait poliment sur la prononciation ; et il me traitait tout à fait comme Elle.

*

— Mon lieutenant, dit Clyton. Venez !

C’était l’heure où la lune aspire ceux qu’elle aime à la hauteur des toits, où les somnambules, effleurées par la brise, avancent pas à pas sur les fils de fer tendus pour elles, par leurs parents, entre le château et l’annexe. Un oiseau de nuit et un oiseau de jour, égarés, voletaient dans la même chambre : fallait-il éteindre, fallait-il illuminer pour que chacun d’eux