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marins le mégot du capitaine, qu’on pût suivre des yeux un long moment. Pour masquer toute lumière on avait retrouvé dans quelque chantier les ronds de tôle découpés jadis dans le navire pour faire les hublots, dans un autre navire sans doute, car les femmes de chambre les ajustaient difficilement, debout sur notre valise neuve. Au salon s’assemblaient des ombres hostiles, attirées par l’idée du bridge, — une dame, avec d’énormes yeux dont elle n’abaissait jamais les paupières, quelque espionne, — et l’Américain à l’index coupé jouait Tannhauser sur le piano qui semblait avoir perdu une note.

— Les chevaux pie portent malheur et non bonheur, disait Bordéras ; et il m’en expliquait la cause.

Puis d’autres jours passaient. Le jour où nous étions au large des Açores, et l’on vit flotter des herbes, une table : au large de Terre-Neuve, il en vint une tortue. En face du Pôle même, et la dame aux yeux ouverts vit dans la même heure un poisson volant, un requin, un corsaire. Les dernières lettres reçues au départ, sur le quai de Bordeaux, se recouvraient peu à peu, par-dessus l’écriture anglaise adorée, des comptes au crayon du jeu de tonneau. Les kodaks, qui portaient au départ