PIERROT (grave)
Ecoute : il est deux races —■> Vieilles comme l’azur et comme la clarté : L’une éprise de force et de réalité, Belle, luxuriante, héroïque, ravie Par la banalité splendide de la vie. Et cette race-là ç’est celle des heureux ! L’autre est la race des rêveurs, des songe-creux, Et de ceux qui, nés sous le signe de Saturne, Ont un lever d’étoile en leur cœur taciturne ! C’est la race farouche et douce des railleurs Qui traînent par le monde un désir d’être ailleurs, Et que tue à jamais la chimérique envie De vivre à pleine bouche et d’observer la vie. C’est la race de ceux dont les rêves blasés Se meurent du regret d’être réalisés ! L’une est pleine de joie, et l’autre de rancune, L’une vient du soleil, et l’autre de la lune ; Et l’on fait mieux d’unir l’antilope au requin Que les fils de Pierrot aux filles d’Arlequin !
ELIANE (souriant)
La chose est vraisemblable, hélas ! mais peu galante,
Et votre métaphore est par trop violente !
Oh ! vous auriez bien pu, sans vous en trouver mal,
Choisir, pour être juste, un plus bel animal !
Requin me paraît dur !… (Elle rit.)
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