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Mais nul ne te comprend et nul ne te devine,
Fille d’un ciel amer sous ses riches couleurs,
Ô grande délaissée ! ô pauvre âme divine !
Nul aède inspiré n’a chanté tes douleurs !

Comme l’homme est heureux ! Il aime, il hait, il vibre !
Les âpres passions lui dilatent le cœur ;
Il porte en son cerveau le songe d’être libre,
L’illusion puissante et la féconde erreur !

Éphémère ignorant ! Combien je vous envie !
Dans vos veines le sang circule fier et fort
Et pour doubler encor la saveur de la vie,
Bienfaiteurs méconnus, nous vous donnons la mort !

Mais nous, tyrans chétifs d’un pays dérisoire,
Gardés par le Destin dans son cercle de fer,
Condamnés à porter le deuil de notre gloire,
Nous trônons sans jouir dans le splendide éther !

D’avance tout est su ; rien n’émeut, tout arrive !
Pour nous point de passé ; pour nous point d’avenir ;
Que nous importe à nous que l’homme meure ou vive,
Puisque nous ne pouvons ni vivre ni mourir !