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Après ce bel exploit, il continua à tirer de toutes ses forces sur la corde et poussa des cris de détresse, la patte en l’air. Son compagnon ne crut pouvoir mieux faire que d’imiter un si bel exemple. Quoiqu’il fût tout à la fois aveuglé, asphyxié, sourd et paralytique, Schukraft crut entendre un cri de détresse.

Rebb avait d’abord bataillé de son mieux contre son para-pluie, qui s’était retourné d’un seul coup et qui semblait possédé de la rage d’aller voir ce qui se passait dans la vallée. « Ma casquette ! » hurla Rebb d’une voix si aiguë que Schukraft, s’oubliant lui-même, se retourna tout effrayé, fit un effort héroïque et ouvrit les yeux.

« Lâche-le, malheureux, lâche-le ! » s’écria-t-il d’une voix tonnante, en laissant tomber sa pipe. La casquette avait déjà disparu dans la trombe ; quant au parapluie, semblable à une voile tendue, il attirait peu à peu le malheureux Rebb vers la gauche, à l’endroit où le chemin côtoie la pente abrupte de la colline.

Ou bien Rebb n’entendit pas, ou bien il avait perdu la tête. Pas à pas, il continuait de s’avancer les yeux fermés vers le précipice.

Schukraft lâcha la corde pour courir à son secours. Malheureusement sa jambe gauche était prise et, au premier mouvement qu’il fit, il tomba sur la neige. Fouillant aussitôt dans sa poche, il en tira son couteau, qu’il ouvrit avec ses dents, parce qu’il avait les doigts gelés, et d’un coup sec coupa la corde. « A moi ! je suis perdu ! » criait Rebb d’une voix hale-tante.

En deux bonds, Schukraft arriva au bord du précipice : il n’était que temps ; Rebb, à bout de forces, allait lâcher le genévrier auquel il s’était cramponné, et se laisser rouler du haut en bas du rocher dans les eaux noires et rapides de la