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leur donna une toute petite poussée avec son bâton, en leur disant d’une voix conciliante : Nous recauserons de ça à l’auberge ! »

Les deux petites bêtes, enchantées d’avoir affaire à quelqu’un qui les comprenait si bien, repartirent d’un bon trot, et Schukraft les suivit en riant. Rebb restait prudemment à l’arrière-garde, de peur que son compagnon ne vînt à lui dire : J’ai les mains engourdies ; à ton tour ! »

VI

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Il appliqua son poing sur son chapeau

Quand toute la compagnie fut arrivée sur le plateau de Plenitz, le vent cessa de souffler comma par enchantement.

« Attention, dit Schukraft, en prenant un air avisé, c’est trop beau pour durer. Le vent reprend haleine pour mieux souffler, et je me trompe fort ou bien… »

Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Une rafale oblique prit le plateau en écharpe ; du même coup les arbres sifflèrent et secouèrent la neige de leurs branches, les flocons volèrent avec une telle rapidité qu’ils traçaient dans l’air comme de grandes lignes blanches. Schukraft n’eut que le temps de jeter son bâton de sa main droite dans sa main gauche pour appliquer son poing sur son chapeau, qui faisait de furieux efforts pour s’envoler.

Il ferma les yeux pour n’être point aveuglé, serra les dents pour retenir sa pipe et les lèvres pour n’être point asphyxié. En même temps il s’arc-boutait du côté d’où venait le vent, pour conserver son équilibre. Pendant un quart de minute, il fut comme sourd et aveugle ; il sentit, mais comme dans un cauchemar, que le cochon n° 1 piquait droit dans le vent comme un petit téméraire ; le cochon n° 2, de son côté, se jetait avec violence dans l’autre sens, contournait la jambe gauche de Schukraft, rencontrait la rafale, se repliait en désordre et enroulait la corde autour de la jambe de son conducteur.