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dire combien il était bon et charitable. Il avait eu autrefois de grands chagrins qui l’avaient encore rendu meilleur.

Quand on le plaisantait un peu sur ses relations avec Rebb, il haussait tout doucement les épaules et disait : « Il s’agit de savoir le prendre, voilà tout ! » Et les gens s’en allaient en se disant l’un à l’autre : « Il n’y en a pas beaucoup qui lui ressemblent ! » Et voilà à qui Rebb se proposait de jouer, le jour même, ce qu’il regardait comme un bon tour. S’il avait su que toute sa malice lui retomberait sur la tête ! Mais, comme on dit, « c’était écrit ».

III

Le grand Schukraft avait dit : « J’irai te prendre à huit heures. » Et Rebb avait répondu : « Non, c’est moi qui te prendrai. » Mais en même temps il s’était promis de venir surprendre Schukraft à sept heures et demie. Pourquoi ? Parce qu’il supposait que Schukraft ne se mettrait pas en route sans avoir déjeuné. Surpris à table, il ne manquerait pas d’offrir à son compagnon quelque chose de bon et de chaud, et un petit verre de kirsch par-dessus le marché. Autant de pris sur l’ennemi.

Ayant quelque peine à s’endormir à cause du froid, qui était vif, Rebb s’était mis à ruminer des finasseries pour passer le temps. « Si je faisais d’une pierre deux coups, s’était-il dit ; j’ai deux petits cochons à conduire à l’aubergiste de Plenitz pour la Noël, je les emmènerai demain ; c’est un détour d’une grande lieue, mais ce grand Schukraft est si bête qu’il n’y verra que du feu. »

Quand le coucou sonna sept heures, Rebb se réveilla brusquement et sauta à bas de son lit, en grommelant contre le coucou, qui aurait dû le réveiller plus tôt, et contre la gelée, qui lui avait mordillé le nez toute la nuit et l’avait rendu aussi dur et aussi froid qu’un glaçon.