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II

Ce qui m’étonne, c’est qu’il y ait encore des gens pour pratiquer ce métier de finasserie et de mensonge, car il n’a jamais réussi à personne, et tous ceux qui l’ont pratiqué jusqu’au bout ont toujours mal fini. Rebb, dans tous les cas, n’y avait jusqu’ici gagné ni la richesse ni le bonheur. Rebb, malgré toute sa finesse et son intelligence, était gueux comme un rat, car son commerce allait mal, parce que personne ne voulait plus avoir affaire à lui ; de plus il était rechigné comme une vieille chouette, car il n’avait ni femme ni ami pour l’encourager et le consoler quand ses humeurs noires le prenaient, et elles le prenaient souvent.

Il avait demandé dans le temps plusieurs filles en mariage afin d’avoir quelqu’un à faire enrager pendant les vingt-quatre heures que dure la sainte journée ; mais toutes l’avaient prié de s’adresser ailleurs, même la servante de l’Aigle noir, qui n’était plus jeune, qui n’avait jamais été avenante, et qui avait un œil de moins, même celle-là !

Les hommes de son âge tournaient la tête de l’autre côté lorsqu’il passait ; quant aux jeunes gens, ils disaient entre eux, le dimanche, à la brasserie de l’Aigle noir, que si jamais la confrérie des Rechignés s’avisait de faire une procession, c’est Rebb qui porterait la bannière.

Voilà donc ce qu’on disait de lui ; aussi serait-il demeuré tout seul dans sa tanière comme un loup, si le grand Schukraft… Mais laissez-moi vous dire que le grand Schukraft n’était point un homme comme un autre. Il savait comme tout le monde, car ce n’était pas une bête, qu’en cette vallée de misère, choses et gens ont, comme les étoffes ; un endroit et un envers. Mais, tandis que Rebb ne voulait jamais voir que l’envers, lui, il regardait toujours l’endroit ; c’est assez