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QUATRE VICTIMES,
HISTOIRE À FAIRE FRÉMIR

I

Tout était convenu depuis la veille entre le grand Schukraft et Rebb le Rechigné ; ou, pour mieux dire, Rebb le Rechigné avait, selon sa coutume, arrangé les choses de la façon qui lui convenait le mieux.

Ayant des affaires à Colmar pour le lendemain et ne se souciant pas de faire la route tout seul, parce que les loups couraient la campagne, il avait persuadé au grand Schukraft que ses affaires l’appelaient aussi à Colmar. Or, les affaires du grand Schukraft n’étant pas d’une nature bien urgente, le grand Schukraft aurait pu attendre sans inconvénient que le froid fût un peu moins vif. Mais le grand Schukraft était l’obligeance même ; il n’y regardait jamais de bien près quand il s’agissait de rendre service à quelqu’un.

Si Rebb lui eût demandé tout simplement de l’accompagner, l’autre n’aurait pas refusé. Mais Rebb le Rechigné était de ces gens qui ne vont jamais droit au but, qui emploient la finasserie là où il serait tout simple de dire franchement ce qu’ils veulent. Il se figurait qu’en demandant il serait tenu à remercier, tandis qu’en entortillant les gens il avait le bénéfice de la chose, premier point ; il n’y avait pas à dire : grand merci ! second point, et il jouissait du plaisir d’avoir attrapé quelqu’un, troisième point, et le plus important à ses yeux.