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VI

Elle était si troublée qu’elle obéit comme dans un rêve. Le gros homme, après l’avoir toisée longtemps avec un méchant sourire, se mit à l’interroger si brusquement qu’elle avait à peine le temps de répondre. Il trouva naturellement sa prononciation détestable.

« Passons, dit-il, à la géographie. Énumérez-moi les différentes parties de l’Allemagne. »

Elle désignait d’un doigt tremblant sur la carte les différentes parties de l’empire, à mesure qu’elle les nommait. Quand elle fut arrivée à l’Alsace et à la Lorraine, elle sentit que le cœur lui manquait, et leva sur le maître d’école des yeux suppliants. Le maître d’école se contenta de regarder l’inspecteur, qui, les deux mains croisées sur son ventre, regardait le plafond. La pauvre petite voix commença à trembler, puis elle se tut brusquement. Le dignitaire daigna abaisser ses regards sur l’enfant.

« C’est tout ? dit-il de sa grosse voix, en feignant de se méprendre sur la cause de son hésitation. Race française, race ignorante ! Écoutez, vous, petite fille, écoutez, vous tous, ce qu’il fallait répondre. » Et, battant la mesure avec son gros doigt velu, il se donna carrière pendant plus de vingt minutes, sur le sujet si connu de la supériorité de la race germanique, de son rôle providentiel, et du bonheur inappréciable pour les Lorrains et les Alsaciens d’être rentrés enfin dans le giron de la grande patrie allemande.

Le maître d’école faisait à chaque phrase des sourires obséquieux, les écoliers ricanaient en regardant Augusta. La pauvre petite, les yeux baissés, tordait de désespoir les coins de son tablier. Une seule fois, elle leva la tête pour chercher un peu de courage dans des regards amis, et se tourna du côté de Frédérika. Frédérika ricanait plus fort que les autres,