Page:Girardin - Petits contes alsaciens, 1892.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

IV

Comme la vie est belle quand on a une amie que l’on aime bien ! Augusta n’avait pas oublié les absents, oh non ! mais depuis qu’elle aimait Frédérika, la séparation lui paraissait moins dure et moins pénible. Il y avait cependant parfois, dans la conduite de la petite Allemande, des inégalités qui la rendaient rêveuse, sans qu’elle en conçût encore grande inquiétude. Les jeunes Germains des deux sexes qui fréquentaient l’école s’étaient aperçus bien vite que cette petite Kopf était bonne Française, et on ne lui ménagea ni les mauvaises paroles ni les mauvais traitements. Dans ces occasions, Frédérika (si tendre dans l’intimité, surtout à la cuisine, en présence des pâtisseries) non seulement ne prenait pas la défense de son amie, mais elle ne parvenait pas toujours à réprimer un certain sourire d’une expression singulière.

Un jour, par exemple, au sortir de l’école, les deux fillettes revenaient ensemble à la maison. Frédérika avait tendrement passé son bras autour des épaules d’Augusta, qui lui expliquait, sur son ardoise, les mystères d’une division de quatre chiffres. Frédérika, entendant derrière elle des rires étouffés, tourna légèrement la tête. Un écolier se penchait vers Augusta en allongeant un brin de paille. Il essayait de planter cet ornement ridicule dans la blonde chevelure de « la Française ».

Deux autres écoliers riaient sous cape, et poussaient en avant leur camarade. Non seulement Frédérika n’avertit pas son amie, mais encore elle lança aux écoliers un coup d’œil d’intelligence et un sourire d’encouragement. À un mouvement maladroit de l’écolier, Augusta tourna la tête ; elle comprit tout et saisit au passage le sourire équivoque de Frédérika. Son cœur en souffrit, car il n’y a rien de plus cruel que d’être trompé par un ami ; elle rentra cependant sans se