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Il n’y a presque rien de changé en apparence, et cependant comme tout est changé ! Le vieux maître d’école, un si digne homme ! est parti en pleurant ; un autre maître d’école est venu d’outre-Rhin, tout gonflé de l’importance de sa mission ; ne lui a-t-on pas dit : « Allez, et civilisez ces barbares. » Il en reste bien peu, de ces barbares : une demi-douzaine tout au plus. Les nouveaux écoliers se les montrent du doigt.

Parmi ces barbares, ceux qui se résignent et baissent la tête deviennent les favoris du nouveau maître : ce sont des convertis qu’il pourra présenter avec orgueil à M. le conseiller Hellwig, lorsqu’il fera sa tournée dans les écoles. Quant à ceux qui sont tristes et regrettent de n’être plus Français, tant pis pour eux ! Gare les boulettes de papier mâché, les coups de pied sous la table, les horions dans les passages étroits ! Quand un de ceux-là se lève pour réciter sa leçon, quelque voisin charitable, élevé dans les bonnes traditions et nourri de beau langage, murmure en se penchant pour mieux se faire entendre : « La France, capout ! »

II

Parmi les enfants qui étaient restés au village se trouvait une petite fille nommée Augusta Kopf. Elle avait bien pleuré en voyant partir ses amies, qui suivaient leurs parents. Comme elle avait naturellement l’âme fière, et qu’on l’avait élevée dans l’amour du pays, elle s’indignait à l’idée de n’être plus Française. Mais elle n’avait plus ni père ni mère, et ses grands parents étaient trop âgés pour s’expatrier. Longtemps elle refusa de sortir de la maison ; longtemps elle évita les fenêtres qui donnaient sur la place, et passa ses journées dans le jardin d’où l’on voyait les collines du Fuchsberg et la route poudreuse par où les autres étaient partis.

Peu à peu cependant elle s’enhardit jusqu’à lever un coin