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fracas sur les carreaux luisants de la petite salle à manger. Quant à moi, j'étais plus mort que vif. Les accès d'impatience de mon père me frappaient d'une sorte de terreur nerveuse. Je fixais alors sur lui des regards stupides qui l'exaspéraient.

Il leva le rideau que j'avais laissé retomber, et regarda la maison d'en face. A la fenêtre, il y avait un petit garçon de mon âge Qui me guettait toujours pour me faire des grimaces et me montrer le poing.

Mon père se tourna de mon côté; les bras croisés avec force contre sa poitrine, il me toisa d'abord de la tête aux pieds, puis il me dit avec un ricanement plein de mépris: « Et voilà ce qui te fait peur! Mais, malheureux, tu ne seras donc toute ta vie qu'une poule mouillée? Un grand garçon de huit ans! le fils d'un militaire; et d'un brave militaire, je m'en flatte. Me voilà bien loti avec un lièvre pareil à élever. Oui, monsieur, un lièvre, vous avez beau renifler. Trente ans de services, cinq campagnes, huit blessures, pour arriver à quoi? à élever un lièvre qui a peur de son ombre.

» Cache -toi, malheureux, car tu me fais honte. Oserai-je, maintenant, aller me promener dans la Grande Rue ou sur le Mail, pour que l'on me demande: « Capitaine, comment cela va-t-il? » Qu'est-ce que tu veux que je réponde à cela? dis, que veux-tu que je réponde?

— Je ne sais pas, balbutiai-je timidement.

— Ah! tu ne sais pas; eh bien, je sais, moi. Il faudra que je réponde: « Vous êtes bien bon, merci! j'occupe mes loisirs à éduquer un lièvre, et ce lièvre, monsieur, c'