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irrévocable promesse : Toujours et jamais d’autre !… Ces deux mots-là font rêver… Quand on veut être honnête, et qu’on est très-décidé à tenir ses serments, on les étudie un peu avant de les prononcer. Oh ! je vous entends d’ici vous écrier : Vous n’aimez pas, vous n’aimez pas ; si vous aimiez, ces mots qui vous semblent terribles vous paraîtraient charmants ; vous seriez la première à dire : Toujours, et vous n’imagineriez pas qu’il y ait sur la terre un autre homme que vous puissiez aimer… Je reconnais encore que ceci vous donne des armes contre moi ; mais que voulez-vous ?… Je sens… c’est ma folie ?… je sens qu’il y a quelqu’un quelque part que je pourrais mieux aimer. C’est cette sotte idée qui me fait hésiter quelquefois. Cependant, je la perds tous les jours, et je suis prête à faire justice de cet enfantillage. Malgré votre opinion, je persiste à croire que j’aime Roger ; et quand vous le connaîtrez, vous comprendrez que cet amour-là est très-probable. Je l’aurais déjà revu, je serais déjà retournée à Paris depuis hier, sans vous ; oui, sans vous ! Ce sont vos conseils qui m’ont retenue. Eh ! moi qui vous demandais des secours, vous ne m’avez envoyé que des inquiétudes. J’étais partie de l’hôtel de Langeac le cœur joyeux : l’épreuve sera favorable, pensais-je ; quand j’aurai vu Roger bien triste pendant quelques jours, quand il m’aura bien cherchée, bien attendue, un peu maudite, et beaucoup regrettée, j’apparaîtrai tout à coup à ses yeux, heureuse et souriante ; je lui dirai : Vous m’aimez, je vous ai quitté pour vous voir de loin, pour m’interroger moi-même dans la solitude ; maintenant je reviens sans crainte, j’ai confiance en vous et en moi, ne nous quittons plus. Je comptais lui avouer la vérité naïvement… — Mais cet aveu me serait fatal, me dites-vous. Si vous devez épouser M. de Monbert, au nom du ciel, qu’il ignore toujours le motif de votre subit départ ; inventez une histoire… un devoir à remplir, une maladie à soigner…