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VII


À MADAME
MADAME LA VICOMTESSE DE BRAIMES
HÔTEL DE LA PRÉFECTURE,
À GRENOBLE (ISÈRE).


Pont-de-l’Arche, 29 mai 18…

Valentine, cette fois, je me révolte, et je déclare votre science en défaut. Vous avez beau me dire : Vous ne l’aimez pas ; je vous réponds : Je l’aime, et je l’épouserai. Toutefois, je suis forcée d’admirer cette superbe sentence que vous prononcez contre moi :

« Un amour profond n’est pas si ingénieux. Quand on aime sérieusement, on respecte la personne qu’on aime, et l’on se garde bien de l’offenser en osant l’éprouver ; quand on aime sérieusement, on n’est pas non plus si brave ; on a tant besoin de croire, que l’on ménage sa foi ; on ne la risque pas ainsi dans un jeu puéril ; le véritable amour est craintif, il préfère une erreur à un soupçon ; loin de rechercher le doute, il le fuit, et il a une bonne raison pour ça, c’est qu’il ne pourrait pas le supporter. »

La phrase est magnifique, et vous devriez l’envoyer à M. de Balzac ; il aime assez à mettre dans ses romans de vraies phrases de femme. J’en conviens, cette pensée est juste, lorsqu’il s’agit d’amour seulement ; mais si l’amour doit avoir pour avenir le mariage, l’épreuve n’est plus un vain jeu, et l’on peut bien se permettre, dans une occasion si importante, d’éprouver la constance du caractère sans offenser la dignité de l’amour. C’est une chose si grave qu’un mariage, et surtout un mariage d’inclination, qu’on ne saurait trop s’y préparer avec raison et avec prudence. Vous dites : L’amour est craintif. Eh ! l’hymen aussi est craintif. On ne prononce pas avec légèreté cette