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dédaigneux, que je me dis en moi-même : — Cette jeune personne se destine à l’état dramatique, — elle joue les Marguerite et les Clytemnestre en province en attendant qu’elle ait assez d’embonpoint pour se produire à la Porte-Saint-Martin ou à l’Odéon. — Cette stryge est son habilleuse, tout s’explique.

Je vous avais promis un paragraphe sur les yeux et les cheveux ; les yeux sont d’un gris changeant, quelquefois bleus, quelquefois verts, selon l’expression et la lumière ; — les cheveux châtains séparés en deux bandes bien lisses, moitié satin, moitié velours. — Plus d’une grande dame paierait bien cher pour avoir ces cheveux-là.

L’averse ayant diminué, une résolution violente fut prise à l’unanimité, pour aller à pied jusqu’à Pont-de-l’Arche, malgré la boue et les flaques d’eau.

Étant rentré en grâce auprès de l’infante par des discours pleins de sagesse et des gestes soigneusement équilibrés, nous fîmes la route ensemble, la vieille suivant à quelques pas en arrière, et le merveilleux petit brodequin arriva à sa destination sans être souillé le moins du monde, — les grisettes sont de vrais perdreaux, — à la maison de madame Taverneau, la directrice de la poste, qui était l’endroit où se rendait mon inconnue.

Vous seriez un prince bien peu pénétrant, cher Roger, si vous n’aviez déjà deviné que vous allez recevoir une lettre de moi tous les jours, et même deux, dussé-je vous envoyer des enveloppes vides ou recopier le Parfait Secrétaire. — À qui ne vais-je pas écrire ? Jamais ministre d’état n’aura eu de correspondance si étendue.

Edgard de Meilhan.