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bonhomie des gens élevés à la campagne ; une robe de mérinos foncé, un tartan de couleur sombre, un chapeau sous lequel s’ébouriffait un bonnet à plusieurs rangs ; voilà succinctement la tenue de la créature.

La grisette est un oiseau de gai babil et de libre allure qui s’échappe à quinze ans du nid pour n’y jamais revenir ; ce n’est pas dans ses mœurs de traîner des mères après soi — cette manie est spéciale aux filles de théâtre, qui en ont besoin pour toutes sortes de petits trafics qu’ignore la grisette indépendante et fière. — La grisette semble deviner par instinct que la présence d’une vieille femme autour d’une jeune a toujours quelque chose de malsain. Cela sent la sorcière et la toilette du sabbat ; les limaces ne cherchent les roses que pour baver dessus, et la vieillesse ne s’approche de la jeunesse que dans un but honteux.

Cette femme n’est pas la mère de mon inconnue ; une fleur d’un si doux parfum ne peut provenir de cette bûche mal taillée. J’ai entendu la vieille dire cette phrase du ton le plus humble : — Mademoiselle, si vous le voulez, je vais baisser les stores ; les grains de charbon pourraient vous incommoder.

C’est sans doute quelque parente ; car une grisette n’a pas de femme de compagnie, et les duègnes sont exclusivement réservées aux infantes espagnoles.

Ma grisette serait-elle tout simplement une aventurière ornée d’une mère de louage, pour se donner des airs respectables ? Non, il y a dans toute sa personne un cachet d’honnête médiocrité, un soin dans les détails de sa toilette plus que simple, qui la sépare de cette classe hasardeuse. — Une princesse errante n’aurait pas cette exactitude dans son ajustement ; elle se trahirait par un châle délabré sur une robe neuve, par des bas de soie dans un brodequin éculé, par quelque chose de décousu et d’in-