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sont baronnes ; les charmantes, comtesses ; les belles, marquises, et je reconnais la reine aux mains et non au sceptre, au front et non à la couronne. Telles sont mes mœurs. Je n’ai du reste aucun préjugé ; je ne dédaigne pas les princesses, quand elles sont aussi jolies que de simples vilaines.

Je pressentais qu’Alfred avait l’intention d’aller me voir, et, avec cette prodigieuse finesse qui me caractérise, je me suis dit : S’il vient chez moi, l’hospitalité me forcera de le subir aussi longtemps qu’il lui plaira de m’imposer le supplice de sa présence, tourment oublié dans l’Enfer du Dante ; en allant chez lui, je change les positions, je peux m’en aller, sous le premier prétexte indispensable qui ne manquera pas de se présenter, trois jours après mon arrivée, et je lui ôte tout motif d’envahir mon wigwam de Richeport. J’allai donc à Mantes, lieu où ses parents habitent, et où il va passer l’été.

Au bout de quatre heures, je me souvins qu’une affaire des plus urgentes me rappelait chez ma mère ; mais quelle ne fut pas mon angoisse, lorsque je vis que mon exécrable ami m’accompagnait à la station du chemin de fer en habit de voyage, une casquette sur la tête, une valise sous le bras ! Heureusement, il allait à Rouen pour gagner le Havre, et je fus rassuré contre toute tentative d’invasion.

Ici, mon cher ami, tâchez de vous arracher un instant à la contemplation de votre douleur et de prendre quelque intérêt à mon histoire. Pour un esprit aussi distingué que le vôtre, elle a du moins l’avantage de commencer d’une façon toute bourgeoise et toute prosaïque, cela vous reposera de vos odyssées et de vos bonnes fortunes fabuleuses ; — je n’aurais pas fait la faute de vous écrire quelque chose d’extraordinaire ; vous êtes rassasié d’incroyable ; le surnaturel est devenu votre commun ; il existe entre vous et l’étrange des affinités secrètes ; les prodiges vont à