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car s’il ne manque pas de femmes toujours prêtes à distraire un amant aimé, il s’en trouve aussi quelques-unes disposées à entreprendre la cure d’un désespoir célèbre ; ce sont là de ces services que se rendent volontiers les meilleures amies. Je me permettrai seulement de vous adresser une question : Êtes-vous bien sûr, avant de vous livrer ainsi à ces excès de douleurs invisibles, que mademoiselle de Châteaudun ait jamais existé ? Si elle existe, elle ne s’est pas évaporée, que diable ! Il n’y a que le diamant qui remonte au soleil tout entier et disparaisse sans laisser de traces. — On ne s’abstrait pas ainsi, comme une quintessence, d’un milieu civilisé : en 18…, une suppression de personne me paraît tout à fait impossible. Mademoiselle Irène est trop bien élevée pour s’être jetée à l’eau comme une grisette ; si elle l’avait fait, les zéphirs eussent poussé sur la rive sa capote ou son ombrelle ; le chapeau d’une femme, quand il est de Beaudrand, surnage toujours. — Elle aura probablement voulu vous soumettre à quelque épreuve romanesque, et voir si vous étiez capable de mourir de chagrin à cause d’elle ; ne lui donnez pas cette satisfaction, redoublez de sérénité et de fraîcheur, et, s’il en est besoin, mettez du fard comme une douairière ; il faut soutenir devant ces mijaurées fantasques la dignité du sexe le plus laid, dont nous avons l’honneur de faire partie. — J’approuve fort l’attitude que vous avez prise ; — les blancs doivent avoir pour les tortures morales la même impassibilité que les Peaux-Rouges pour les tortures physiques.

Tout en courant le monde à votre profit, j’ai eu une espèce de petit commencement d’aventure qu’il faut que je vous conte. — Il ne s’agit pas d’une duchesse, je vous en préviens ; je laisse ces sortes de caprices aux républicains. En fait d’amour, je n’estime que la beauté, c’est la seule aristocratie que je cherche ; pour moi, les jolies