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rue Jean-Jacques Rousseau : les amoureux de la Nouvelle Héloïse n’en ont pourtant point parlé, eux qui ont écrit tant de lettres sur l’amour.

Je me suis mis en correspondance avec trois de mes domestiques, — ce supplice n’est pas celui dont je veux parler. — Ces trois hommes habitent en ce moment les trois villes voisines dans lesquelles mademoiselle de Châteaudun a des relations, des parents ou des amis, entre autres Fontainebleau, où elle est allée d’abord en quittant Paris ; ils sont chargés par moi de prendre, avec la plus grande circonspection, des renseignements sur elle ; car j’ai supposé que sa retraite mystérieuse était dans une de ces trois localités. Les lettres doivent m’être adressées poste restante. Mon portier, avec la finesse pénétrante de ceux de sa profession, découvrirait, à la place de la vérité, quelque fiction scandaleuse, en reconnaissant chaque jour, à l’arrivée du facteur, la main d’un valet de la maison. Comme vous voyez, le supplice se complique ; mon portier me fait peur. Donc, tous les matins, je vais à ce bureau de poste, confluent des secrets de Paris.

Ordinairement, la salle d’attente est pleine de malheureux, espèces de Tantales épistolaires qui, les yeux fixés sur la grille de bois, sollicitent une déception timbrée. Cela est triste à observer. Il doit y avoir au purgatoire un bureau de poste restante où les âmes vont s’enquérir si leur délivrance a été signée au ciel.

Les préposés de l’hôtel des postes, rue Jean-Jacques Rousseau, n’ont pas l’air de se douter que tant d’impatientes angoisses rugissent autour d’eux. Quel calme administratif rayonne sur les fraîches figures de ces distributeurs de consolation et de désespoir ! Dans les tortures de l’attente, les minutes perdent leur valeur mathématique, et les aiguilles des pendules s’immobilisent sur le cadran comme un serpent tordu et empaillé : les opérations du