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virginité du Tchamalouri ! Après quelque repos, ayant pris toutes ses mesures, un beau matin, au soleil levant, voici milord qui commence à gravir avec l’orgueilleuse satisfaction d’un amant qui, laissant ses rivaux se morfondre dans l’antichambre, se glisse furtivement par un escalier dérobé, la clef du boudoir dans sa poche. Il monte, et, dès le premier jour, il a dépassé la région des tempêtes. Il dort la nuit roulé dans son manteau et reprend sa tâche au retour de l’aube. Rien ne l’effraie, rien ne lui fait obstacle. Il bondit comme un chamois de crête en crête, il rampe comme un serpent le long du rocher, il se suspend comme une liane aux vives arêtes. Son corps n’est bientôt qu’une plaie. Après avoir grillé, il gèle. Les aigles tournoient sur son front et lui fouettent le visage du vent de leurs ailes. Il va toujours. Dilatés outre mesure par la raréfaction de l’air, ses poumons menacent à chaque instant de faire éclater sa poitrine comme la chaudière d’un bateau à vapeur ; il monte encore. Enfin, après des efforts surhumains, haletant, sanglant, pantelant, milord roule épuisé sur une des dernières marches. Quel labeur ! mais quel triomphe ! Quelle lutte ! mais quelle conquête ! Et quelle joie de pouvoir, au prochain hiver, se vanter d’avoir gravé son nom où Dieu seul jusqu’alors avait écrit le sien ! Et pour sir Francis, qui n’aura pas manqué de s’enorgueillir des faveurs banales du Chimborazo, quelle humiliation d’apprendre que lui, lord K… plus difficile en ses amours, plus relevé dans ses ambitions, n’a pas craint d’aller cueillir, à quatre milles toises au-dessus du niveau de la mer, la fleur virginale du Tchamalouri !

Je me souviens que la première nuit que je passai dans Rome, du soir au matin, j’entendis durant mon sommeil une voix mystérieuse qui murmurait à mon chevet : Rome ! Rome tu es dans Rome ! Ainsi, rompu, brisé, n’en pou-