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IV

À MONSIEUR
MONSIEUR EDGARD DE MEILHAN
À RICHEPORT,
PAR PONT-DE-L’ARCHE (EURE),


Grenoble, hôtel de la Préfecture, 20 mai 18…

Ne m’attendez pas, cher Edgard ; je ne serai point à Richeport le 24. Quand y serai-je ? Je n’en sais rien. Je vous écris d’un lit de douleur, brisé, meurtri, brûlé, demi-mort. C’est bien fait, direz-vous en apprenant que j’en suis là pour avoir commis le plus grand des crimes qui se puissent juger à votre tribunal. Il n’est que trop vrai, j’ai sauvé la vie à une femme laide, mais je l’ai sauvée la nuit, et j’ai pu la supposer belle. Que ce soit mon excuse à vos yeux ! Quoi que vous décidiez, sans plus tarder, voici la chose.

Voyagez, courez d’un pôle à l’autre, battez le monde entier en tous sens : il n’est pas impossible que vous échappiez, Dieu aidant, aux mille et un fléaux qui émaillent la surface de notre petit globe terraqué. Mais où que vous alliez, vous n’échapperez point à l’Angleterre, que je vous donne pour la nation la plus gaie qui se puisse voir, surtout lorsqu’elle est en voyage.

Lord K… me racontait sérieusement, cet hiver, à Rome, qu’il était parti, voilà quelques années, de Londres, à l’unique fin de découvrir un coin de terre où nul avant lui n’aurait mis le pied, et d’y apposer le premier l’empreinte glorieuse d’une semelle britannique. Les Anglais, pour se distraire, ont parfois de ces idées-là. Après avoir avisé, sur un tableau synoptique des montagnes de l’univers, les deux points les plus culminants, lord K… gagna