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a eu congestion foudroyante, asphyxie instantanée. Nous avons des exemples comme ça… Perte immense pour le pays. Une femme jeune et belle comme un ange, et bonne comme la charité… Morte !

Il leva la tête, montra le ciel avec sa main, et s’éloigna rapidement.

Il y a un souvenir qui me poursuit, et qui ne s’effacera jamais. Ce souvenir est sans doute aussi le vôtre, cher Edgard. C’est une image éloquente et muette, taillée dans le vide de l’air, comme le simulacre d’un tombeau ; fantôme que ne peut dissiper le soleil, et qui me regarde dans les rayons ou dans les ténèbres : c’est le visage de Raymond, lorsqu’il s’est posé en face de vous, sur le terrain du combat. Son front, ses yeux, ses lèvres, son attitude respiraient tous les nobles sentiments qu’une tombe imméritée peut ensevelir. Il venait là, cet héroïque jeune homme, avec la conviction fatale de son dernier jour ; il n’avait contre nous deux ni mépris ni haine ; il obéissait aux inexorables exigences de cette heure, sans se plaindre, sans accuser. Le silence de Raymond voilait, avec une délicatesse sublime, son amitié pour nous, son amour pour elle. Son maintien n’exprimait ni la résignation qui veut être ménagée, ni la fierté qui provoque l’ennemi. Sa figure rayonnait de cette sérénité modeste, fille des résolutions suprêmes. En quelques jours d’union conjugale, il venait d’accomplir le cercle des félicités humaines ; il venait d’épuiser toute la somme de béatitude divine qu’un homme peut dépenser ici-bas ; et il se préparait sans faiblesse à l’inévitable et sanglante expiation de son bonheur !

Voilà ce qui était sur le visage de Raymond !

Edgard ! Edgard ! nous sommes trop vengés !

Comment se fait-il que l’honneur, cette noble vertu française, soit la mère de tant de remords ?

Adieu.

Roger de Monbert.