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à chacun de redouter, pour soi, ce jury. La prudence conseille de s’éloigner et d’attendre.

J’ignorais toutes ces choses, moi. Au retour d’un voyage de dix ans, on apprend du nouveau.

Immédiatement après le combat, j’ai couru chez M. l’avocat Delestong, celui que vous m’aviez désigné. Là, il m’a fallu raconter l’affaire telle qu’elle s’était passée, sauf quelques omissions volontaires. Je dois vous mettre au courant de ce que j’ai dit et de ce que je n’ai pas dit, afin que cela vous serve de règle exacte, le cas échéant, et pour éviter le danger des contradictions devant un juge instructeur.

Il était inutile de raconter ce qui s’était passé entre vous et moi avant le combat. Je n’ai donc pas dit que nous avions tiré au sort le nom de celui de nous qui vengerait l’autre, en lui laissant le rôle de témoin. Je n’ai pas cru devoir, non plus, donner des explications sur les trop sérieuses causes du duel ; il m’aurait fallu faire une longue histoire, et mêler des noms de femmes à tout propos, ce que des hommes ne doivent jamais faire. Je me suis borné à dire qu’il y avait malheureusement des motifs graves, et de nature à légitimer le plus acharné combat. Nous sommes partis de Guéret, ai-je ajouté, à six heures du matin, M. Edgard de Meilhan et moi. À une lieue de la ville environ, nous nous sommes écartés de la grande route de Limoges, et nous sommes descendus de cheval dans l’endroit de la forêt appelé la petite cascade. Un quart-d’heure après, M. de Villiers est arrivé avec deux officiers de chasseurs à cheval, ses témoins d’obligeance. Nous avons échangé des saluts, à la distance de dix pas, mais aucune parole n’a été prononcée. Le plus âgé des officiers s’est avancé vers moi, m’a tendu la main, et, me prenant à l’écart, m’a dit : — Nous n’osons pas nous récuser, nous militaires, dans ces rencontres, lorsqu’un homme de cœur nous appelle, mais nous arrivons toujours sur le terrain avec un but de conciliation. Ces jeunes gens ont la tête chaude ; il y a quelque belle blonde ou brune là-dessous ;