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XXXVII


À MONSIEUR
MONSIEUR LE COMTE DE VILLIERS
AU CHÂTEAU DE VILLIERS
PAR GUÉRET (CREUSE).


Paris, 16 août 18…

Noble hidalgo, illustre chevalier de la Manche, vous qui aimez tant les aventures et les prouesses chevaleresques, je viens vous faire une proposition qui sera, je pense, de votre goût ; — un combat à fer émoulu, à la lance, à la hache, à la dague, sans pitié ni merci, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Je sais d’avance ce que vous allez me répondre : — votre générosité naturelle vous empêche de vous couper la gorge avec un ami. — D’abord, je ne suis pas votre ami ; — les traîtres n’ont pas cet honneur. — Que ce scrupule ne vous arrête donc pas, délicat personnage.

Votre masque est tombé, cher Tartufe de beaux sentiments. On sait maintenant à quel chiffre de rentes vous vous dévouez. Avant de retirer les Anglaises des flammes ou des précipices, vous prenez des informations sur leur position sociale. Vous sauvez vos amis de la banqueroute à quatre-vingts pour cent de bénéfice, et quand vous filez le parfait amour avec une grisette, vous avez son blason et le total de ses rentes dans votre poche. En venant chez moi, vous saviez que Louise était Irène. Vous avez appris tous ces détails chez madame de Braimes pendant votre intéressante convalescence. Tout cela peut paraître fort simple à d’autres de la part d’un mortel vertueux, d’un Grandisson comme vous. Quant à moi, je ne suis pas de cet avis ; votre conduite me semble basse, ignoble et lâche. — Je crois que je ne pourrais guère m’empêcher de vous traduire librement cette opinion, partout où je vous rencontrerai, en soufflets et en crachats en plein visage. J’espère que vous m’épargnerez ce désagrément en venant poser quelques minutes devant mon épée ou mon pistolet, à votre choix. Surtout ne montrez pas de grandeur d’âme,