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dain de Louise, mais non mon cœur, hélas ! mon pauvre cœur, qui souffre et saigne. J’ai vu le paradis par une porte entr’ouverte. La porte s’est fermée : je pleure sur le seuil !

Si Louise était morte, il me semble que cela me calmerait, mais elle existe, et elle n’est pas à moi ; cette idée me dévore et me rend la vie impossible. — Je ne puis penser à autre chose, et je sais à peine si les mots que je vous écris forment un sens… Je laisse ma lettre inachevée, je la finirai ce soir si je parviens à me distraire un instant de cette obsession…

… Roger, il se passe une chose incroyable, à renverser tous les calculs et toutes les prévisions. — Je suis stupéfié, abruti. J’étais chez la marquise, il y faisait encore moins clair que de coutume. Une seule lampe tremblotait dans un coin, assoupie sous un large abat-jour. Un gros monsieur, enseveli dans un fauteuil, débitait d’un ton somnolent les nouvelles du jour.

Je ne l’écoutais pas. Je pensais au petit lit blanc de Louise, dont j’avais soulevé le chaste rideau, avec cette intensité douloureuse et ces regrets poignants qui torturent les amants rebutés… Tout à coup un nom frappe mon oreille, le nom d’Irène de Châteaudun. — Je deviens attentif. — Elle se marie demain, continue le monsieur bien informé, avec… attendez donc, je m’embrouille dans les noms et les dates ; à cela près, j’ai une mémoire excellente… un jeune homme, Gaston, Raymond, de je ne sais trop quoi, mais le prénom finit en on pour sûr.

Je questionnai avidement ce gros homme, il ne savait rien de plus. Je sortis et je rentrai chez moi pour envoyer Joseph aux informations.

Ce garçon, qui est vif, plein d’intelligence et méritait un maître plus adonné aux intrigues et aux galanteries, a été aux douze mairies. Il m’a rapporté le relevé de toutes les publications de bans.

La nouvelle était vraie : Irène de Châteaudun se marie