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longue lettre que j’écrivais à ma cousine, et dans laquelle je lui racontais, sans lui dire mon déguisement, que le hasard m’avait fait apercevoir le prince de Monbert au spectacle, la manière dont il y était entouré, et le profond dégoût que sa conduite m’inspirait. Je la priais de lire cette lettre au prince lui-même, qui était près d’elle en ce moment ; il est allé la chercher dans une de ses terres en Bretagne, il comprendrait, au ton décidé de ma lettre, que ma résolution était prise, que je ne l’aimais pas, et qu’il n’avait rien de mieux à faire que de m’oublier.

J’avais écrit cette lettre hier matin sous votre inspiration et pour prévenir les dangers bien imaginaires que vous redoutez. Croyez-moi, ma chère Valentine, M. de Monbert sait bien qu’il est coupable envers moi, il pourrait peut-être chercher à empêcher mon mariage ; mais, quand il apprendra que je ne suis plus libre, il faudra bien qu’il se résigne à me perdre ; ne craignez rien, je connais deux très-belles créatures à qui il permettra bien vite de le consoler. Un homme véritablement malheureux n’aurait pas pris pour confidents de ses amours dédaignés tous ses amis, tous ses laquais et tous les mouchards de la police ; on ne livre pas aux échos indiscrets un nom cher et sacré ; un homme qui n’a pas le respect de son amour n’a pas d’amour sérieux ; il ne mérite ni égard ni pitié ; je lui écrirai à lui-même, si vous le voulez ; mais, quant à une querelle d’honneur, que peut-il prétendre ? je ne lui ai donné aucun droit ; et s’il venait jamais me menacer de provoquer en duel mon mari, je n’aurais qu’à lui dire : Prenez pour vos témoins MM.  Ernest et Georges de S…, qui étaient ivres avec vous à l’Odéon ; et il rougirait de honte, et il comprendrait à l’instant même l’odieux et le ridicule de sa colère.

J’avais laissé Raymond seul dans ma chambre, occupé à lire cette lettre, j’étais rentrée dans le salon et je pleurais. Je ne pouvais m’accoutumer à le voir sévère contre moi ; je devinais qu’il m’accusait d’inconséquence et de