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indication que le parfum qui s’en exhalait, j’étais allé droit au sanctuaire. Je pris les mains de Louise dans les miennes, et nous restâmes quelques instants à nous observer en silence, dans l’extase d’un bonheur fatalement perdu et miraculeusement retrouvé : extase de deux amants qui, séparés par un naufrage, après s’être crus morts l’un l’autre, se rencontrent, pleins d’amour et de vie, sur le même fortuné rivage.

— Quoi ! c’était vous ! dit-elle enfin en montrant ma chambre par un geste charmant.

— Quoi ! c’était vous ! demandai-je à mon tour en couvant d’un œil attendri une petite lampe de cuivre que j’avais aussitôt remarquée sur une table chargée d’écrans, de boites de couleurs, de palettes de porcelaine.

— C’était vous, la petite lumière !

— C’était vous, l’étoile de mes nuits !

Et tous deux, en même temps, nous racontions le poème de ces deux années d’existence, et il se trouvait que nous disions la même histoire. Louise commençait mes phrases, et j’achevais les siennes. En découvrant les rapports de nos âmes, et les sympathies mystérieuses qu’elles avaient échangées, pendant deux ans, sans se connaître, c’étaient à chaque instant entre nous de naïfs étonnements et des admirations profondes. Nous nous interrompions de loin en loin pour nous regarder et nous prendre les mains, comme si nous voulions nous assurer que nous étions bien éveillés et que ce n’était pas un songe. Et toujours cette phrase qui revenait à chaque instant comme un charmant et gai refrain :

— Quoi ! c’était vous le frère et l’ami de ma pauvreté !

— Quoi ! c’était vous la sœur et la compagne de ma solitude !

Puis, en remontant le courant des jours écoulés, nous arrivâmes, de détours en détours, à notre rencontre sur les bords de la Seine, sous les ombrages de Richeport.

— Ce qu’il y a de triste, me dit-elle avec une mélancolie souriante, c’est qu’après m’avoir aimée sans me con-