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reux enfant ; je serais cause de sa mort ; ce pays fatal ne lui rendrait jamais son fils ; quel dommage de voir un homme si supérieur, une des gloires du siècle, périr, succomber dans les piéges d’une obscure minaudière qui n’a pas même su être sa maîtresse, qui n’a pas su l’aimer un seul jour ; une ambitieuse qui ne voulait que se faire épouser, et qui l’a bien vite immolé à M. de Villiers dès qu’elle a appris que M. de Villiers était le plus riche… et vingt autres gracieusetés, toutes méritées comme celles-là. J’écoutais ces injures fort tranquillement, en préparant de mes mains innocentes un verre d’eau sucrée et de fleurs d’oranger pour cette pauvre furie larmoyante, dont la fureur et la justice même m’inspiraient une affectueuse pitié. Quand elle eut tout dit, je m’approchai d’elle bravement ; je lui présentai ce verre d’eau que j’avais préparé pour calmer sa colère, et je la regardai… et mon regard trahissait un orgueil si ferme et si doux, une indulgence si généreuse, une dignité si complètement invulnérable, qu’elle se sentit désarmée tout à coup. Elle me prit la main et me dit, en essuyant ses larmes : — Il faut bien me pardonner, je suis si malheureuse ! Alors, je cherchai à la consoler ; je lui dis que si l’on allait à New-York en quinze jours, on pouvait bien en revenir de même, que j’écrirais à son fils et qu’elle le reverrait bientôt. Cette promesse la calma. Je l’engageai à se mettre au lit : elle avait passé toute la nuit en voiture, elle était très-fatiguée ; et quand je vis que ses pauvres yeux brûlés par les larmes commençaient à se fermer, je la laissai s’endormir, et je me retirai dans ma chambre. Après m’être habillée et reposée, j’appelai un des gens de l’hôtel pour lui donner des ordres relatifs à notre départ ; mais, au lieu de la personne qui m’avait d’abord servie, je vois une jolie petite fille de huit à dix ans entrer timidement chez moi.

En m’apercevant, elle recule effrayée. — Que voulez-vous, mon enfant ? lui dis-je en l’attirant à moi. — Rien, madame, répond-elle. — Mais si, vous êtes venue pour chercher